Chronique radiophonique1
Cette chronique radio avait commencé comme une boutade. On cherche un sujet d’émission pour clôturer le cycle d’émissions d’été au doux nom de « flux détendu ». On s’est dit qu’on ferait une thématique autour du mot flux ! Parfait ! J’ai une idée de sujet, flux menstruel, ahahaha. Une blague à part sur un vrai sujet. « Suck my tampons, fucker », en hurlerait Donita Sparks de L7. Pour ma part, plutôt que de vous asperger d’un tampon usagé que je n’ai pas sous la main par ailleurs, dommage, je vais me contenter de raconter quelques anecdotes à propos de ce qui s’avère quand même être la loi de l’emmerdement maximum (dite Loi de Murphy) des personnes menstruées : les règles, les anglais qui débarquent, les ragnagnas, ces moments où la Ferrari est devant la porte.
Je ne sais plus trop quand et comment ça a commencé. Ma mémoire a fait un black-out sur le sujet, un peu à la façon dont j’ai moi-même réagi à l’époque, c’est à dire en mettant les premières règles sous le tapis. Il faut dire que je voulais surtout éviter une réaction maternelle et familiale démesurée comme l’avaient connu certaines de mes amies : l’une s’était pris une claque monumentale en provenance de sa mère, qui avait ponctué la baffe d’un « bienvenue dans un monde d’emmerdements ». Une autre dut faire face aux hurlements et cris de joie, et subir la gêne totale : une fête en son honneur. Gloups. Elle était devenue une femme, youpi, bonjour les nouveaux interdits, fini de jouer n’importe où à n’importe qu’elle heure et n’importe comment. Tout le monde était content. Sauf elle.
Mes premières règles sont donc passées sous le radar, je ne sais plus trop ce que j’ai fait et comment. Ce dont je me souviens, c’est que quand la régularité s’est installée, j’ai du faire face à un constat : j’étais mal barrée, j’avais coché la case du flux pléthorique. Vu la quantité perdue vers 16 ans, direction le gynéco, ce mec vraiment sympa, formé à l’empathie. Résultat : pas trop d’explications et hop, petite cautérisation sans anesthésie du col de l’utérus. Ça sent le cochon grillé dans le cabinet, je pleure mais Doc Gyneco me demande d’arrêter de faire ma chochotte.
C’est vrai quoi, une petite cautérisation cervicale, sans prévenir et sans explication, il y a de quoi se réjouir et exploser de joie. Le docteur a un cerveau pas de cervix, voilà.
Merci monsieur L., tu as été le premier d’une longue liste d’hommes et de femmes hypocrates taiseux qui omirent au cours de ma vie de me donner des explications, ou pourquoi pas, soyons fous, des médicaments pour me soulager de ces maux de ventre récurrents et de plus en plus envahissants. Je ne compte bientôt plus avant vingt ans le nombre de fois où la douleur déclenchée par le démarrage de cet écoulement cyclique tectonique me voit tourner de l’œil, piquer du nez, bref, tomber dans les pommes un peu n’importe où.
J’accélère. Le tampon passe, je maîtrise mieux le truc, je suis équipée d’une super bouillotte, les Ibuprofen sont mes amis 4 à 6 jours par mois, j’ai découvert les serviettes fines de nuit, je gère à peu près le truc, les nausées, le manque d’appétit, je suis rodée.
On me propose des pilules pour améliorer l’expérience, mais elles sont trop fortes, pas assez, micro ou mal dosées et ne changent pas grand-chose à ce débit mensuel d’endomètre, de sang et de muqueuse utérine. Vivement que Murphy me lâche la grappe. Parce que, comme si ça ne suffisait pas, le temps et l’âge amènent des flux de plus en plus abondants. Mais flux, est-ce vraiment le mot ? Ce qui sort ressemble de plus en plus à, selon les mois, des algues rouges ou des bouts de steak de foie chevalin accompagnés de cet ami de toute une vie qui monte en force : le SYNDROME PRÉMENSTRUEL. Je dis de toute une vie, parce que les règles peuvent bien s’arrêter, lui, il continue. Tant qu’il restera des ovaires. Connard de SPM.
J’ouvre mon DSM : Le syndrome prémenstruel (SPM) regroupe un ensemble de symptômes physiques et psychologiques qui débutent quelques jours avant la période menstruelle et prend généralement fin quelques heures après le premier jour des règles. Le trouble dysphorique prémenstruel est une forme de SPM dans lequel les symptômes sont si graves qu’ils peuvent perturber le travail, les activités sociales ou les relations avec l’entourage.
Ils peuvent perturber le travail, les activités sociales ou les relations avec l’entourage. Mais on arrête les euphémismes les gars ! Le SPM c’est quelque fois par an la fin du monde, l’apocalypse avec ses sept cavaliers, le désespoir abyssal, la fin du sens de la vie. J’appelle ça la dépression instantanée. Tout à coup, le monde devient d’une transparence absolue, l’hypocrisie, la vanité des choses, tout devient limpide, le monde est cruel, il faut que ça s’arrête, là, maintenant, tout de suite. J’ai dû attendre mes trente cinq ans pour qu’on m’explique ce qui m’arrivait, pourquoi et qu’on me propose de quoi réduire les effets de cette tornade physique émotionnelle.
Parce que l’errance médicale gynécologique est quand même une caractéristique que je partage avec pas mal de copines de mon entourage, même féministes et informées. C’est aussi tardivement que l’on me donne les noms des causes de ces règles pléthoriques : fibromes, endométriose, adénomyose. Oui, j’ai tiré le gros lot des affections barbares, mais c’est apparemment le cas de beaucoup d’afro-descendantes. Ce qui est bien, c’est que je suis devenue spécialiste des cafés qui laissent l’accès aux toilettes gratuit, même pour les non clients : j’ai dans la tête une cartographie des WC avec lavabos intégrés, bien plus pratiques pour se laver.
C’est donc assez tardivement qu’on évoque les possibilité d’ interventions chirurgicales et les gradations possibles, les séquences probables et la clef radicale pour régler mes problèmes de steak : l’hystérectomie. Si on m’avait parlé de cette possibilité à vingt ans, je n’aurais sûrement pas trouvé la perspective super, mais au moins j’aurais pu y réfléchir, avoir le choix quoi – plutôt que de manquer de crever à l’occasion d’une énième déferlante rouge.
Je me souviendrai toujours de mon chemin de croix vers les urgences ce jour-là, des arrêts qu’il m’a fallu pour parcourir un kilomètre, en me changeant trois fois. L’idée étant d’éviter qu’on puisse me suivre à la trace. Mais là, j’arrive à l’hôpital, je n’ai plus de stock de protections sur moi, j’en fous partout dans la salle d’attente. Vu les chutes du Niagara gore, on me prend tout de suite. Y’a moins de sang qui coule dans l’ensemble des films Saw, c’est dire. Ça coule tellement que l’étudiant en médecine qui assiste mon gynéco est tout blême, j’ai l’impression qu’il va se faire caca dessus. Il se fait virer par l’équipe, parce que la patiente, c’est moi, il faudrait quand même voir à rester calme et professionnel, chouchou.
On me dit dans l’oreillette, mais tu n’as pas parlé du syndrome de la tache. Comment ça ? Avec toutes mes histories de steak, ça n’est pas évident ? Pour tous les gens qui n’ont jamais eu leurs règles, je vous explique. Avec la fin des règles arrive un soulagement, celui de ne plus jamais avoir le stress de tâcher son pantalon, ses draps. Je ne connais pas une personne,avec petit ou gros flux, avec cup, serviette ou tampon, pour qui ce point godwin des menstruations ne fasse exploser une charge mentale déjà bien encombrée.
Mais quel stress, la tache. La tache qui expose. Au regard. Aux remarques grasses des autres. À la vue de toustes. Ce truc énorme (c’est quand même tous les mois ces foutues règles), il devrait rester caché, invisible, tabou et surtout ne jamais déborder. La tache, la honte. Je rappelle que dans beaucoup de ces religions qui nous gouvernent qu’on le veuille ou non, les règles sont synonymes d’impureté, de mise à l’écart, de souillure abominable. Difficile de détacher (quel humour dit !) les règles des femmes contemporaines de siècles de tabou, des regards et décisions prises par des gens qui ne doivent jamais expérimenter ce truc absolument génial du sang qui coule, ni ne doivent en supporter les frais associés.
Parce que ça coûte cher les protections périodiques, quel que soit leur modèle. Je me revois dans ma jeunesse étudiante fauchée, compter les pièces jaunes orangées en espérant en avoir assez pour pouvoir en acheter. Parce que sinon quoi ? Il faudrait que je reste terrée chez moi ?! Mais j’ai même pas de machine à laver pour expurger le sang de mes draps. On appelle ces coûts spécifiques qui s’étirent tout au long de la vie, avant la ménopause totale, la taxe tampon, le clou de la fête du slip taché.
Je dis bien ménopause totale, le graal, la fin des règles, ce truc encore plus tabou, qui s’étire, s’étire, s’étire… jusqu’à l’extinction du stock total d’ovules, ces machins qui aiment quand même bien prendre leur temps pour s’épuiser en nous épuisant, croyez-moi. 60 litres de sang dans une vie en moyenne, un demi verre de bordeaux par mois. Et avec ces petits bouts de soi s’en va aussi du fer et donc, paf, anémie ferriprive sévère. Beaucoup de femmes manquent de fer, sont donc à bout de souffle et finissent sous perfusion à perdre leur temps à la one day clinic.
Oui, les crampes, les règles, c’est pénible alors pas ce soir chéri, en tout cas pas avec un cycle aussi pénible. Avoir autant ses règles, ovuler autant est apparemment une particularité moderne, liée au fait qu’on n’a plus douze enfants et des brouettes dans notre vie et qu’on vit mieux et plus longtemps. Et ces règles, malgré le tableau sanglant que je viens de décrire, se passent mieux que par le passé (qu’est-ce que ça devait être) et peuvent même, ça arrive, passer comme une lettre à la poste. Mais quand ce n’est pas le cas, c’est pas ce soir chéri, pas ce soir le travail, pas ce soir la vie. Pourtant la perception de ce banal cycle menstruel reste engluée dans le silence, le passé et le mystère. De quoi ruminer sans fin et avoir comme Dolly Parton, le PMS blues. Aller Dolly, rappelle-nous que le blues et la country, c’est la même musique.
- Diffusé originellement sur Radio Panik. ↩︎